interview exclusive de pierre gattaz, président du medef interview exclusive de laurent berger, secrétaire général, cfdt échanges internationaux. quel regard portez-vous sur la gouvernance mondiale ? quelles sont les priorités auxquelles nos dirigeants devraient s’attacher aujourd’hui ? laurent berger. malheureusement, il n’existe pas de gouvernance mondiale affirmée, plutôt l’action plus ou moins ordonnée de multiples acteurs. on parle de l’omc, de l’ocde, du fmi, du g20, du g8, de l’oit, mais il manque une volonté politique de construire une véritable gouvernance économique mondiale. nombre de nos dirigeants vivent encore cette perspective comme une contrainte plutôt que comme une d y n a m i q u e d a n s l a q u e l le i l s pourraient s’investir utilement pour la planète. et cet état de fait pose de nombreux problèmes. des problèmes de régulation, bien sûr, mais pas seulement. cette carence donne aussi à nos concitoyens le sentiment que l’on abandonne un pouvoir extraordinaire à certaines entreprises, ce qui nourrit la méfiance à l’égard de celles-ci comme à l’égard du système économique tout entier. e.i. comment peut-on avancer dans la bonne voie ? actuellement, on a plutôt le sentiment d’un repli sur soi généralisé... l.b. il est urgent que les politiques considèrent les grands enjeux il faut veiller à la qualité du modèle productif, éviter que le « moins-disant » s’impose sur la planète et que les plus vertueux soient pénalisés, à commencer par le modèle européen qui, même s’il est loin d’être parfait, incarne une certaine conception de l’économie de marché et du modèle social. auxquels nous sommes confrontés d’un point de vue global et s’y investissent. faute de quoi nous risquons de nous abandonner à la loi du plus fort, avec son lot de mesures protectionnistes, de dérégulations et d’inégalités. gouvernance écono- mique et gouvernance politique sont étroitement liées. pour repartir dans le bon sens, je crois beaucoup à la nécessité d’en finir avec le système des silos où chaque organisation internationale travaille dans son coin, parfois d’ailleurs en adoptant des démarches contradictoires : je crois à l’efficacité de travaux en commun, entre l’organisation internationale du travail (oit) et l’organisation mondiale du commerce (omc) par exemple. il ne peut y avoir de développement du commerce international s’il n’y a pas de respect des travailleurs, et dans des conditions plus justes, plus équilibrées que ce que nous obser- vons actuellement. c’est à ce prix que nous pourrons veiller à la qualité du modèle productif, éviter que le « moins-disant » s’impose sur la pla- nète et que les plus vertueux soient pénalisés, à commencer par le modèle européen qui, même s’il est loin d’être parfait, incarne une certaine conception de l’économie de marché et du modèle social. e.i. quels sont les chantiers prioritaires ? l.b. c’est d’abord le changement cli- matique, pour une raison évidente, la dégradation du climat, mais aussi pour l’impact très positif que peut avoir la transition énergétique sur la richesse produite, sur les échanges, sur l’emploi qualifié, sur la création de valeur. c’est aussi la digitalisation avec la question centrale de la pro- tection des données mais également avec celle de l’élévation du niveau des compétences, lequel constitue l’élément premier de la compétitivité. j’ajouterai la régulation financière avec la lutte contre les paradis fiscaux, la corruption, le blanchiment et bien entendu, enfin, tout ce qui touche aux inégalités et à la pauvreté dont on sait bien que, si d’un point de vue macro-économique elles dimi- nuent objectivement, en revanche, elles se creusent à l’intérieur de chaque pays. enfin, il y a la question du travail décent qui constitue un des grands combats de la confédération syndicale internationale, sans oublier l’immigration. e.i. sur le travail décent, la loi sur le devoir de vigilance constitue-t-elle à vos yeux un progrès ? l.b. oui, car elle incite à être vigilant sur la manière dont sont traités les fournisseurs et leurs salariés sur l’ensemble de la chaîne de valeur, tout en agissant au bon niveau, c’est- à-dire par l’incitation plutôt que par la contrainte. il est en effet irréaliste de demander à telle ou telle grande entreprise d’être garante de ce qui se passe chez chacun de ses sous- traitants, et encore moins chez les sous-traitants de ses sous-traitants, à l’autre bout du monde. mais il est en revanche de son devoir d’être vigilante et de chercher à anticiper et à prévenir ce qui pourrait arriver. quand nous parlons de travail décent, nous parlons de salaires décents mais aussi de conditions de travail décentes. la cfdt s’est beau- coup investie sur cette loi, y compris pour promouvoir une co-construction avec les représentants du personnel. les accords mondiaux d’entreprise, les accords sectoriels entre syndicats et employeurs, constituent autant d’élé- ments de régulation importants et, sur ce terrain, je crois que nous pourrons de plus en plus compter sur le soutien de l’opinion publique mondiale. e.i. les entreprises européennes ont parfois le sentiment qu’elles subissent des distorsions de concurrence en s’imposant des règles qui ne sont pas pratiquées partout dans le monde… bio express laurent berger, 49 ans, est né le 27 octobre 1968 à guérande, en loire-atlantique. fils d’une puéricultrice et d’un ouvrier soudeur aux chantiers navals de l’atlantique, il est issu du christianisme social. titulaire d’une maîtrise d’histoire, il a 28 ans lorsqu’il devient permanent à l’union locale cfdt de saint-nazaire avant de progresser dans les instances dirigeantes de la confédération. membre de la commission exécutive à partir de 2009, il succède en novembre 2012 à françois chérèque comme secrétaire général. il va solliciter un nouveau mandat à la tête de la cfdt à l’occasion du 49e congrès confédéral qui se tiendra à rennes au début du mois de juin. 5